Ethiopie : Les signes de normalisation entre les autorités d’Addis-Abeba et l’ancienne zone rebelle du Tigré

Les signes de normalisation entre les autorités d’Addis-Abeba et l’ancienne zone rebelle du Tigré se sont multipliés depuis l’accord de paix signé le 2 novembre. Mais si les combats ont cessé, les acteurs présents dans la région du Tigré poursuivent des objectifs différents laissant craindre de nouvelles dissensions.

Le son des canons ne retentit plus dans la région du Tigré. Depuis le 2 novembre, le gouvernement éthiopien et les rebelles tigréens ont accepté une « cessation des hostilités » sous l’égide de l’Union africaine, en Afrique du Sud. Après deux ans d’affrontements fratricides, ce conflit; qui a provoqué le déplacement de plus de deux millions d’Éthiopiens et plongé des centaines de milliers de personnes dans des conditions proches de la famine, semble prendre fin.

Le retour des convois humanitaires le 16 novembre, le raccordement au réseau électrique national à Mekelé, capitale du Tigré, le 6 décembre, la reprise des opérations de la principale banque du pays le 19 décembre et le premier vol commercial de la compagnie Ethiopian Airlines entre Addis-Abeba et Mekelé le 28 décembre sont autant de marqueurs de normalisation dans cette région tourmentée de la Corne de l’Afrique.

Autre signe de détente, la ministre française des Affaires étrangères, Catherine Colonna, a annoncé le 5 janvier qu’elle se rendrait en Éthiopie la semaine prochaine avec son homologue allemande Annalena Baerbock « pour consolider la paix ».

« L’Éthiopie est entrée depuis le 2 novembre dans une période de transition où les deux belligérants ont mis fin aux hostilités et respectent l’accord de paix, explique Patrick Ferras, docteur en géopolitique et spécialiste de l’Éthiopie. La vie normale reprend peu à peu son cours avec le retour progressif des services. C’est une démarche qui va dans le bon sens mais qui va prendre du temps tant les choses ont été loin dans le conflit. »

La paix n’est pas entièrement scellée pour autant. L’accord de Pretoria du 2 novembre, qui prévoit notamment un désarmement des forces rebelles et un retrait de l’armée érythréenne, pourrait bien être un point d’achoppement à cette trêve fragile. Lors des pourparlers de Nairobi, qui ont suivi l’accord de Pretoria, les représentants des forces tigréennes ont fait d’importantes concessions, à la condition que les troupes « étrangères et non fédérales » se retirent. Sur le terrain, les forces du Tigré (TDF), bras armé du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF), ont joint le geste à la parole en se retirant de plusieurs localités. En revanche, il semble que les soldats d’Issayas Aferworki, président de l’Érythrée voisine, appelés à la rescousse par Addis Abbeba pour parer les offensives des rebelles, sont loin d’avoir tous levé le camp.

Dans ce scénario où chaque camp se regarde en chien de faïence, les forces tigréennes, partiellement désengagées, craignent de ne plus pouvoir protéger leur région en cas d’attaque érythréenne. Les autorités d’Asmara considèrent en effet le TPLF comme son principal ennemi depuis le conflit qui les ont opposés en 1998. Les Tigréens ne pourraient d’ailleurs pas compter sur le soutien d’Addis Abeba en cas d’assaut érythréen.

Autre point de crispation : la région éthiopienne contestée d’Amhara, limitrophe du Tigré. Il paraît peu probable que les chefs amharas, qui ont soutenu depuis novembre 2020 l’état fédéral, acceptent de retirer leurs troupes des zones contestées et de perdre une partie de ce qu’ils considèrent comme leur territoire. Le Premier ministre Abiy Ahmed, qui a fait alliance avec eux, ne devrait pas prendre de décision à leur encontre. Les incertitudes liées à cette région devraient perdurer car « l’accord du 2 novembre reste très flou sur la question du territoire Amhara », explique Eloi Ficquet, spécialiste de la Corne de l’Afrique et maître de conférences à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS).

Enfin, le retour progressif des moyens de communication pourrait lui aussi relancer les tensions dans la région. « Les gens privés d’information et surtout abreuvés de désinformation pourraient nourrir de nouveaux ressentis en apprenant certains aspects insoupçonnés de la guerre », estime Patrick Ferris. Un point que ne partage pas Éloi Ficquet. « Je crois que l’arrêt des hostilités, scellé sous l’égide de l’Union africaine et largement appuyé par les États-Unis, est surtout lié au fait que les Éthiopiens n’avaient plus les moyens ni la volonté de continuer les combats. Il paraît improbable qu’ils se relancent dans un conflit. »

’ensemble des puissances africaines et occidentales ont également tout intérêt à voir l’Éthiopie sortir de la guerre civile. La capitale demeure une locomotive économique pour toute la région de la Corne de l’Afrique. Son économie était parmi les plus dynamiques au monde durant la décennie 2010. Mise à mal par l’inflation et la guerre, elle va devoir multiplier les partenariats et les baux internationaux pour se relancer. Le Premier ministre, Abiy Ahmed, a promis une croissance économique de 7,5 % pour l’année 2023.

De son côté, l’Union européenne a d’ores et déjà débloqué une allocation de 33 millions de dollars pour réparer quelque 8 500 écoles endommagées pendant la guerre. L’ambassadeur de l’UE en Éthiopie, Roland Kobia, a déclaré que l’argent permettrait à deux millions d’enfants de retourner à l’école et de relancer un programme d’alimentation scolaire. « Le pays a pris des années de retard dans tous les domaines, assène le chercheur Patrick Ferras. L’Éthiopie n’a plus d’autres choix que de sceller définitivement la paix. Si son turbulent voisin érythréen veut bien [la] laisser faire. »

Le bilan précis de ce conflit qui s’est déroulé largement à huis clos, et au cours duquel ont été commises de nombreuses exactions, est difficile à définir. Le centre de réflexion International Crisis Group et l’ONG Amnesty International le présentent comme « l’un des plus meurtriers au monde ».

Paul ANDRE